Soudan: craintes pour les civils à El-Facher après l'annonce de sa prise par les FSR
Population en fuite, des centaines de milliers de civils piégés, communications coupées... La situation à El-Facher suscite la plus grande inquiétude lundi, au lendemain de l'annonce par les paramilitaires de la prise de cette ville clé du Darfour dans l'ouest du Soudan.
Assiégée depuis 18 mois, El-Facher était la dernière ville de la vaste région du Darfour qui échappait au contrôle des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), en guerre depuis avril 2023 contre l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane.
L'armée n'a pas officiellement réagi à l'annonce de "victoire" des paramilitaires dimanche dans cette ville affamée.
Si sa prise confirmée, les FSR auraient le contrôle de l'ensemble du Darfour, où elles ont installé une administration parallèle, défiant le pouvoir du général Burhane, dirigeant de facto du Soudan depuis le coup d'Etat de 2021, basé à Port-Soudan (est).
"Cela représente une terrible escalade du conflit", a averti lundi le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres. "Le niveau de souffrance que nous voyons au Soudan est intolérable".
Les dernières images diffusées sur la page Facebook du comité de résistance locale, un groupe de civils pro-démocratie qui documente le conflit, montrent des civils en fuite, des corps jonchant le sol près de voitures en flammes.
- "Dernier souffle" -
L'AFP n'est pas en mesure de vérifier de source indépendante ce qui se passe sur le terrain ou de communiquer avec des civils à El-Facher.
Toutes les communications satellite starlink, le seul réseau encore fonctionnel, ont été coupées laissant la ville dans un "black out médiatique", selon le Syndicat des journalistes soudanais.
Lundi matin, les combats se poursuivaient autour de l'aéroport et dans plusieurs zones de l'ouest de la ville, selon le comité de résistance locale. La population "résiste jusqu'au dernier souffle" mais les paramilitaires progressent.
"Nous exigeons la protection des civils, la révélation du sort des déplacés et une enquête indépendante sur les violations et les crimes" des paramilitaires, a dit le gouverneur pro-armée du Darfour, Minni Minnawi, dans un message sur X.
Selon le comité de résistance locale, "si El-Facher tombe, ce ne sera pas seulement par la main des ennemis, mais par la trahison des dirigeants du Darfour qui sont restés silencieux et accrochés au pouvoir (...)".
L'émissaire américain pour l'Afrique, Massad Boulos, a appelé dimanche les FSR à ouvrir "des corridors humanitaires" pour l'évacuation des civils.
Le chef des opérations humanitaires de l'ONU, Tom Fletcher, a lui aussi demandé un passage sûr.
"Avec les combattants avançant dans la ville et les voies d'évacuation coupées, des centaines de milliers de civils sont piégés et terrifiés - bombardés, affamés, et sans accès à la nourriture, aux soins ou à la sécurité", a-t-il dit.
- "Tuer et voler" -
"Les milices et les mercenaires sont dans tous les coins de rue pour tuer et voler (....) Leur slogan est de tuer tout ce qui bouge et sort d'El-Facher", affirme un message publié sur la page Facebook du groupe de résistance locale, sous une vidéo montrant une femme morte gisant au sol.
De leur côté, les paramilitaires ont diffusé des vidéos où l'on voit des centaines d'hommes en tenue civile assis par terre entourés de combattants en tenue paramilitaire. Ces hommes sont présentés dans les vidéos comme des prisonniers des rangs de l'armée ou des forces conjointes alliées.
Le syndicat des journalistes a exprimé "sa profonde inquiétude pour la sécurité des journalistes présents à El-Facher". Un journaliste indépendant, Maamar Ibrahim, se trouve aux mains des FSR depuis dimanche, selon ce syndicat et d'après des images diffusées sur les réseaux sociaux où on le voit entouré de paramilitaires.
Selon l'ONU, plus d'un million de personnes ont fui la ville depuis le début de la guerre et les quelque 260.000 habitants d'el-Facher, dont la moitié sont des enfants, manquent de nourriture, d'eau et de soins.
Le Soudan, déjà amputé du Sud en 2011, risque à terme de se fragmenter, selon les experts. Et malgré des efforts internationaux pour un cessez-le-feu, les deux camps, tous deux accusés d'exactions sur les civils, restent sourds aux appels à négocier.
"Il est temps que la communauté internationale dise clairement à tous les pays qui interfèrent dans cette guerre et fournissent des armes de cesser cela", a demandé M. Guterres.
T.Barbieri--INP