
La Cour suprême américaine pourrait porter l'estocade à une loi emblématique sur les droits civiques

La Cour suprême américaine passe mercredi au crible une loi emblématique garantissant la représentation électorale des minorités, dont l'érosion accélérée pourrait enraciner la majorité parlementaire des républicains.
Les neuf juges de la Cour, majoritairement conservatrice, sont une nouvelle fois saisis d'un recours contre une carte électorale dans un Etat comportant une importante minorité noire, en l'occurrence la Louisiane (sud).
Au coeur du débat, le découpage électoral partisan, dit "gerrymandering", consistant à déplacer les frontières des circonscriptions au gré des intérêts du parti dirigeant dans chaque Etat.
La Cour suprême a décidé en 2019 que ce charcutage ne relevait pas de la compétence des tribunaux fédéraux, mais il reste prohibé lorsqu'il se pratique sur des bases raciales et non plus de l'affiliation politique.
Les autorités républicaines de Louisiane, Etat dont environ un tiers de la population est noire, ont dû à la suite d'une décision de justice créer une seconde circonscription à majorité afro-américaine, en vertu du Voting Rights Act. Cette loi phare a été adoptée en 1965 pour empêcher les anciens Etats ségrégationnistes du Sud de priver les Afro-Américains du droit de vote.
Mais un groupe d'électeurs de Louisiane n'appartenant pas à cette minorité a contesté cette nouvelle carte, la qualifiant de discriminatoire, et un tribunal leur a donné raison, considérant que le facteur racial avait prédominé dans le tracé de la circonscription.
Dans une décision inhabituelle, la Cour suprême, qui aurait dû statuer sur ce litige en juin lors de sa précédente session annuelle, l'a renvoyée à sa nouvelle session qui s'est ouverte en octobre.
Elle devra déterminer si le Voting Rights Act contrevient aux amendements de la Constitution sur l'égalité de traitement des citoyens devant la loi.
- "Retour en arrière" -
La circonscription en cause "s'étend en diagonale sur environ 400 km de Shreveport, dans le coin nord-ouest, jusqu'au sud-est de l'Etat, à Baton Rouge, pour englober suffisamment d'électeurs noirs afin qu'ils y constituent une majorité", explique Michael Dimino, professeur de droit à l'Université Widener.
Selon lui, la Cour pourrait se préparer à déclarer la loi inconstitutionnelle "dans la mesure où elle force les Etats à effectuer un découpage électoral sur une base raciale".
Depuis une dizaine d'années, la majorité conservatrice de la Cour a déjà largement vidé de sa substance le Voting Rights Act, adopté après la violente répression policière de manifestations pour les droits civiques en Alabama (sud) il y a 60 ans.
"Sans cette loi, il n'y aura plus, ou très peu de garanties contre un démantèlement de tous les progrès accomplis depuis 1965 et contre un potentiel retour aux conditions d'avant la promulgation du Voting Rights Act", prévient Sophia Lin Lakin, qui suit les questions électorales pour la puissante organisation de défense des droits civiques ACLU.
"Les enjeux sont donc très importants", souligne-t-elle.
De fait, une décision de la Cour suprême invalidant cette loi permettrait aux républicains d'obtenir 19 sièges "sûrs" de plus à la Chambre des représentants, soit "assez pour consolider le contrôle d'un seul parti pour au moins une génération", selon un rapport d'organisations de défense des droits civiques.
A un an des élections de mi-mandat, les républicains disposent de seulement quelques sièges de majorité à la Chambre, que les démocrates espèrent leur reprendre pour pouvoir s'opposer au programme du président Donald Trump.
Les deux camps sont engagés dans une bataille acharnée pour le redécoupage électoral, en particulier au Texas (sud) et en Californie (ouest), les deux Etats les plus peuplés du pays.
A.Rastelli--INP